Poésie

“La peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir.” 

- Leonard de Vinci - 

 

 

Le dessein d'une trajectoire plus humaniste

Nous conquîmes les monts et les mers,
Nous naquîmes par-delà la générosité des vergers de la Terre
Notre fatuité sans cesse inassouvie,
Nous étendîmes notre état de siège de l’Oural à la Patagonie,
Partout où notre regard se posait nous nous complaisions à posséder,
Partout où notre main se posait, l’heure du glas sonnait,
Cette nature qui fut alors fertile se ternit en un sol aride,
Nous ne sûmes nous raisonner,
Nous ne sûmes nous rationner,
Nous avons hissé au sommet nos besoins les plus futiles,
Emportés dans la course folle de cette idylle mercantile,
Les biens ne valent que pour une saison,
Dont nous ne cessons d’élargir les déclinaisons,
Qu’importe la sueur des travailleurs valeureux,
Tenus par l’espoir de jours plus radieux,
Qu’importe que nous récoltions par-delà les réserves,
Que nous ressuscitons par l’usage d’artifices qu’en rien ne nous desservent,
Dans ce monde les choses ne valent qu’un court instant,
Le temps de se mettre en scène dans une chimère futile,
Nous sommes passé dans l’art d’être victorieux,
De ce bonheur infructueux,
Lassés de cette vie d’abondance,
Nous étions dans une quête de sens.


Puis dans cette imminence l’air se figea,
Aux confins de nos logis, 
Sortant de sa léthargie notre humanité s’éveilla,
Venant innerver de multiples initiatives ici et là,
Ce sentiment d’être par-delà nos cités unis,
Solidaires dans ce destin incertain,
Aurons-nous le courage d’ériger ce lendemain,
Sur des fondations en cohésion avec l’être,
Notre ultime chance de renaître.
Atteindre la quintessence de notre humanité,
Renoncer pour mieux aimer,
Renoncer pour laisser toute sa place au vivant,
Faire le silence pour écouter encore ce chant,
D’oiseaux mélodieux, 
Pouvoir promettre à nos enfants,
Que demain ils connaîtront un ciel bleu,
Simplement respirer,
Cet air qui pourrait venir à nous manquer,
S’il fallait le résumer, ce serait d’avoir aujourd’hui,
Le courage de notre survie.


Julie Colleoni le 5 mai 2020

 

 

 Au pied de l'immeuble où j'habitais à Hong-Kong, je pouvais voir la barque de ce pêcheur chancelante qui m'a inspiré ce poème.

La solitude du marin

Mussée dans la chaleur de mon habitation,
Mon regard s’arrête sur cette embarcation
Chancelante au pied de ma tour,
Là où la mer lèche et cisaille ses pourtours.

J’ouvre la fenêtre et me plonge dans cette autre vie,
L’humidité de cet air brumeux s’accapare de moi,
Mes doigts se glacent en empoignant l’entour de métal froid,
J’entends les mouettes profiteuses qui devant le labeur du pêcheur rient,
Les embruns s’engouffrent dans mes narines, mes sens en effervescence,
Se réjouissent de ce témoignage de l’existence.

Tout semble mouvement et silence à la fois,
L’hiver nous gratifiant de son froid, 
Je frissonne pour cet homme embarqué sur ce bateau ivre,
Compatissante pour le combat qu’il livre.
Ce corps saur tangue de bâbord à tribord,
Houlant au rythme des levées,
Le ressac de plus en plus fort,
S’accélère, résolu à le faire chavirer.
Il remonte ardemment ses filets de cordes abimées,
Mais comme frappé d’anathème,
Dans un cri de douleur et de haine,
Il darde de nouveau sa toile.
Nulle bastingue ne peut le protéger,
Du sort que Pontos lui a réservé,
Le prélart l‘abrite maigrement de sa voile.
Exempt de bavardage il s’attèle à la tâche, reforme un filet sans faille,
Sa peau rougie par la besogne se transforme en écailles,
Il devient peu à peu lui aussi habitant du monde qu’il assaille.

J’entends alors les cliquetis des chaines,
Qui viennent se fracasser sur la proue,
Les éléments se déchainent ;
« Soldats, en joue ! »
Crie l’océan à la mer,
« Nous ne céderons d’habitants ! »,
Et voilà que les vagues réitèrent
L’abordage en cohortes de bans.
Sous les assauts répétés,
Son embarcation tousse d’épais nuages de fumée,
Elle est devenue cet écueil,
Recueil des plaintes de l’océan,
Lui empêtré dans cette galère y fait front seul,
Comme les marins d’un autre temps.

Julie Colléoni, 2017

 

Sylve urbaine

Sylve urbaine est notre dédale, 
Où nous aimons y égarer notre âme, 
Sylve contemporaine où l’on y dévoile, 
Notre « nous » animal, 


Embarqués dans ces tours de verre interminables, 
Nous pourchassons notre rêve inabordable, 
La période des perchis est venue supplanté, 
Ces veilles futaies dont la sagesse nous irritait, 
Alors nous remercions la mondialisation, 
Qui à la vitesse du vent répandait nos semences, 
Avant que nous comprenions l’ampleur de nos méfaits, 
Avant de voir l’étendue de la déforestation, 
Nous éclosions à chaque parcelle,  
Dans cette frondaison exubérante,  
Nous bâtissions une société décadente, 
Fruit de toutes nos concupiscences matérielles. 

Qu’est-ce que des pèlerins égarés 
Pouvaient bien créer d’autre? 
A qui la faute? 
Puis un matin ils se sont éveillés, 
Et contemplaient ce monde qui devenait étranger, 
Si loin de leurs idéaux, il leur semblait de moins en moins hospitalier, 
En effet ils se trouvaient dans le dernier panneau du jardin des délices terrestres, 
Ici on ne s’exerce plus à la palestre,  
Les âmes se livrent à des corps à corps sur l’arène, 
Dans ce qui sera leur dernier hôtel jusqu’au dernier coup qui assène. 


Julie Colléoni, 8 Octobre 2018